Par un important arrêt du 29 janvier 2020 (C-785/18), la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le point de savoir si les juridictions nationales, saisies d’un recours portant sur la légalité d’une décision nationale relative à une demande de modification du cahier des charges d’une AOP, doivent statuer sur la demande ou prononcer un non-lieu à statuer au motif que la Commission européenne a approuvé ladite demande.

En l’occurrence, l’affaire portée devant la Cour de justice de l’Union européenne concernait une modification mineure du cahier des charges de l’appellation d’origine protégée « Comté ».

Précisément, le Comité interprofessionnel de gestion du Comté (ci-après « CIGC ») a déposé une demande d’approbation d’une modification mineure du cahier des charges de l’appellation d’origine « Comté » au titre de l’article 53, paragraphe 2, troisième alinéa du règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, afin de clarifier une disposition relative à l’interdiction de recours au robot de traite dans la production de lait à Comté (paragraphe 5.1.18 dudit cahier des charges).

Par un arrêté du 8 septembre 2017 pris sur proposition de l’INAO, les ministres chargés de l’agriculture et de l’économie ont approuvé cette modification qui procède à l’ajout d’une phrase aux termes de laquelle « le robot de traite est interdit ».

S’opposant à l’interdiction du robot de traite, le GAEC Jeanningros a demandé au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêté du 8 septembre 2017 susvisé.

Alors que cette procédure était encore pendante, la Commission européenne a, par une décision publiée le 1er juin 2018 (JOUE 2018/C 187/07), approuvé ladite modification.

Dans ce contexte, par un arrêt du 14 novembre 2018 (n° 415751), le Conseil d’Etat a posé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle.

En substance, le Conseil d’Etat a demandé à la Cour de justice si les juridictions nationales, saisies d’un tel litige, pouvaient prononcer un non-lieu à statuer dès lors que la Commission européenne avait déjà approuvé la modification du cahier des charges ou si, alternativement, elles devaient se prononcer sur la légalité de ladite modification.

Dans son arrêt du 29 janvier 2020, la Cour de justice rappelle, tout d’abord, qu’en matière d’appellation d’origine protégée, le règlement n° 1151/2012 instaure un partage des compétences entre les autorités nationales et la Commission européenne :

– les autorités nationales de l’Etat membre concerné sont chargées de vérifier la conformité de la demande de modification aux exigences qui ressortent des règlements européens,

tandis que

– la Commission européenne ne fait qu’approuver la demande après avoir vérifié qu’elle contenait les éléments requis et n’apparaissait pas entachée d’erreurs manifestes.

Dans ces conditions, la Cour de justice de l’Union européenne considère que le fait pour une juridiction nationale de considérer qu’il n’y avait plus lieu à statuer dès lors que la Commission européenne avait approuvé la modification d’un cahier des charges « compromettrait la protection juridictionnelle effective que cette juridiction est tenue d’assurer en ce qui concerne de telles demandes de modifications ». En d’autres termes, la solution inverse serait contraire au droit à un recours effectif devant un tribunal impartial.

La Cour relève toutefois l’effet collatéral d’une telle solution : l’annulation éventuelle de la décision des autorités nationales priverait de fondement la décision de la Commission, en ajoutant immédiatement que cela « impliquerait, partant, le réexamen de l’affaire par cette dernière » (point 39).

Compte tenu de ce qui précède, la Cour de justice en conclut que « lorsque la Commission a fait droit à la demande des autorités d’un Etat membre tendant à ce qu’il soit procédé à une modification mineure du cahier des charges d’une appellation d’origine protégée, les juridictions nationales saisies d’un recours portant sur la légalité de la décision prise par ces autorités sur cette demande en vue de sa transmission à la Commission (…) ne peuvent, sur ce seul motif, décider qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le litige pendant devant elles ».

Au cas présent, le Conseil d’Etat ne pourra prononcer un non-lieu à statuer au seul motif que la Commission a approuvé la modification mineure du cahier des charges de l’appellation d’origine « Comté ».

D’un point de vue strictement juridique, une telle solution se justifie compte tenu du droit à un recours effectif consacré, notamment, par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, le prononcé d’un non-lieu priverait les justiciables de toute voie de recours à l’encontre de l’acte national approuvant une modification d’un cahier des charges. C’est précisément ce que souligne la Cour de justice dans son arrêt : « le fait, pour une juridiction nationale (…) de considérer qu’il n’y a plus lieu de statuer sur ce recours (…) compromettrait la protection juridictionnelle effective que cette juridiction est tenue d’assurer en ce qui concerne de telles demandes de modification » (point 37).

En revanche, sur le plan pratique, il importe de souligner que cette solution ne favorise pas la sécurité juridique.

S’agissant de l’affaire pendante devant le Conseil d’Etat, la question de la sécurité juridique ne pose pas de véritable problème, dès lors qu’était en cause une modification mineure du cahier des charges de l’appellation d’origine « Comté » visant simplement à confirmer/clarifier l’interdiction du robot de traite. Dans d’autres affaires, une telle solution pourrait laisser les producteurs d’un produit relevant d’une appellation d’origine protégée dans l’incertitude : alors que le cahier des charges aurait été validé tant par les autorités nationales que par la Commission européenne et serait donc entré en vigueur, ledit cahier des charges pourrait encore être annulé par le Conseil d’Etat, entrainant, par ricochet, la nécessité pour les producteurs de modifier, le cas échéant, leurs méthodes de productions. Plus encore, par crainte d’une annulation contentieuse du cahier des charges, les producteurs pourraient préférer ne pas appliquer le nouveau cahier des charges avant que les voies et délais de recours n’aient été purgées.

Dans ces conditions, il apparaît regrettable que la Cour de justice s’oppose à ce que les juridictions nationales puissent prononcer un non-lieu à statuer une fois que la Commission européenne a validé la modification du cahier des charges.

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